Dans un récent article dans un recueuil de textes sur le régime de Duplessis, l'historienne Suzanne Clavette affirme qu'on ne peut pas "rosir" le bilan de Duplessis quant aux lois du travail. Par la suite, elle déclare qu'il a mis des "lois anti-ouvrières" inspiré de son "anti-syndicalisme".
Je vous admet avoir de la difficulté à faire une équation entre "anti-syndicalisme" et "anti-travailleur". Certes, un syndicat peut permettre d'accroître le pouvoir de négociation de certains travailleurs, mais le syndicalisme n'est pas nécessairement un synonyme de "pro-travailleur".
Après tout, un syndicat veut maximiser uniquement les gains pour ses membres - souvent sans égard à la profitabilité à long terme de la firme. Un syndicat c'est un cartel qui cherche à maximiser son pouvoir pour ses membres. L'exemple de l'atelier fermé (une forme de syndicalisme dans lequel on ne peut être embaucher que si on devient membre du syndicat préalablement) est une bonne illustration de comment un syndicat, comme un monopole, cherche à protéger son intérêt aux dépens des autres.
Ceci n'est pas un réquisitoire contre la syndicalisation, il s'agit d'un outil utile pour des employés dans certains contextes (exemple: employés sur chaîne de montage). Néanmoins, être "anti-syndicalisme" comme l'était Duplessis ne signifie pas "anti-travailleur". Voici quelques faits sur la syndicalisation dans le temps de Duplessis.
- La main d'oeuvre syndiquée augmente de 68 % entre 1947 et 1960 contre 24 % pour l'emploi total. Une progression importante considérant que Duplessis refuse - en se basant sur des arguments du feu président démocrate Franklin Delano Roosevelt - la syndicalisation du secteur public (qui se produira sous Jean Lesage).
- Duplessis met en place la Commision des Relations de Travail qui effectue des arbitrages dans les conflits de travail
- Duplessis est celui qui instaure un salaire minimum lors de son premier gouvernement
- Duplessis crée la Clinique de Réhabilitation de Montréal pour les travailleurs blessés dans le but de permettre leur réinsertion sur le marché
Il est difficile d'accuser Maurice Duplessis d'être "anti-syndicalisme" puisqu'il ne fait rien pour empêcher le progrès du syndicalisme dans le secteur privé. En fait, il reconnaît dans plusieurs discours une admiration pour Samuel Gompers, le président du principal syndicat américain (American Federation of Labour). Il est certes hostile au syndicalisme communiste et il tente de l'enrayer avec des lois sévères. Mais dans ce cas, il faut plutôt parler d'anti-communisme.
En gros, je pense qu'il est peut-être temps pour les historiens de cesser de faire une équation entre "anti syndicalisme" et "anti travailleurs" puisque ca ne tient pas la route.